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Les nouveaux défis du ciel québécois : la langue comme obstacle à l'envol des pilotes

Les nouveaux défis du ciel québécois : la langue comme obstacle à l'envol des pilotes

Depuis juillet 2023, les collèges en pilotage du Québec, détenant un permis de Transports Canada et du ministère de l’Enseignement supérieur, doivent jongler avec une nouvelle règle : les étudiants doivent maîtriser le français au terme de leur formation.

Avant juillet 2023, un étudiant ou une étudiante de ces collèges, sans distinction s’il s’agit d’un étudiant international, canadien ou québécois, complétait son programme au sein des collèges, obtenait ses licences et qualifications de Transports Canada, et son attestation d’études collégiales (AEC). Ces étudiants étaient prêts à intégrer le marché du travail canadien comme pilote d’avion et gravir les échelons pour se tailler une place au sein des grandes compagnies aériennes.

Or, depuis juillet 2023, la nouvelle réglementation prévoit que « l’attestation d’études collégiales ne peut être délivrée à l’étudiant qui n’a pas du français la connaissance suffisante afin de pouvoir interagir, s’épanouir au sein de la société québécoise et participer à son développement » et crée ainsi une dynamique complexe pour les collèges de pilotage du Québec. Cette révision de la Charte de la langue française a introduit des exigences supplémentaires d’apprentissage du français pour plusieurs étudiants, soulevant des interrogations sur la faisabilité et la pertinence de ces critères linguistiques dans le contexte spécifique de la formation de pilotes d’avion et d’hélicoptère.

D’abord, il n’est plus étonnant d’entendre parler de la pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de l’aviation au Canada. Les projections indiquent que d’ici 2025, le pays devra recruter 55 000 travailleurs, dont 7 300 pilotes. Malgré les 384 unités de formation accréditées par Transports Canada à travers le pays, formant approximativement 1 000 pilotes professionnels par an, tous types d’aéronefs confondus, il sera difficile de combler ce déficit. Le Règlement concernant les exigences de connaissance du français pour la délivrance d’une attestation d’études collégiales, adopté en vertu l’article 88.0.18 de la Charte de la langue française, pose un défi important pour les écoles québécoises en matière de recrutement pour les étudiants internationaux et canadiens qui ne maîtrisent pas le français : ils craignent de ne pas pouvoir concilier les exigences académiques et techniques rigoureuses de la formation en pilotage avec l’apprentissage accéléré d’une langue étrangère[1][2].

Deux questions se posent : pourquoi l’AEC est-il nécessaire aux étudiants internationaux et pourquoi ne pas concentrer ses efforts de recrutement au Canada? En voici la réponse.

Partout au pays, hormis le Québec, un diplômé d’une école de pilotage ayant suivi « un cours de pilotage dans un centre de formation d’EED et [étant] titulaire d’une licence canadienne de pilote professionnel »[3] peut faire une demande de permis de travail post-diplôme (PTPD).

La règle n’est pas la même pour les diplômés des écoles de pilotage québécoises: en plus de la règle mentionnée ci-haut, ces derniers doivent également répondre à d’autres exigences, entre autres, avoir fait un programme d’études menant à l’obtention d’une attestation d’études collégiales (AEC)[4]. Sans ce diplôme, ils ne peuvent obtenir le PTPD et devront retourner dans leur pays d’origine.

Le problème se dessine : un étudiant inscrit dans un programme enseigné, en tout ou en partie, dans une autre langue que le français, doit désormais démontrer un « niveau suffisant de connaissance du français » pour pouvoir obtenir son AEC, et par conséquent, son PTPD.

Dans un contexte déjà tendu par une pénurie de main-d’œuvre, les récentes exigences linguistiques imposées aux étudiants internationaux exacerbent les défis existants. Ces critères obligent désormais les étudiants non francophones à attester d’un niveau de maîtrise du français oral et écrit, respectivement de niveau 7 et de niveau 4 sur une échelle de 12; un impératif complexe et chronophage pour leur diplomation.

En d’autres mots, leur avenir au Canada ne dépend pas seulement de la réussite de leur programme, mais de l’apprentissage d’un niveau très élevé de français. Certains étudiants ne peuvent pas, ou ne veulent pas porter cette incertitude et préféreront se tourner vers une autre province, mais peut-être aussi vers un autre pays.

Cette difficulté de recrutement aura également un impact sur notre capacité d’embauche d’instructeurs de vol. En effet, nous constatons que plusieurs étudiants internationaux ayant complété leur formation au Québec démontrent de l’intérêt pour travailler comme instructeurs de vol dans les différentes écoles de pilotage. Il est d’usage pour les compagnies aériennes de ne pas embaucher de pilotes avec peu d’expérience avec un permis de travail. Ils exigent, pour la plupart, un nombre substantiel d’heures de vol et le statut de résident permanent. Ainsi, les collèges sont des employeurs de choix pour ses diplômés qui aspirent à intégrer les lignes aériennes au Canada.

En travaillant au sein de nos collèges, ils cumulent non seulement des heures d’expérience pour leur embauche dans une compagnie aérienne, mais également pour être admissibles au statut de résidence permanente. Devant la pénurie de main-d’œuvre dans notre milieu, les pilotes de nationalité canadienne n’ont aucune difficulté à se trouver un emploi dans les lignes aériennes et les collèges n’ont pas de systèmes de rétention assez grands pour que ces pilotes restent dans nos collèges comme instructeurs.

Ainsi, les étudiants internationaux sont nécessaires aux écoles de pilotage. Une baisse du nombre de ces étudiants dans nos collèges met en péril notre capacité à continuer à former des pilotes d’avion puisque nous n’aurons plus assez d’instructeurs pour former les pilotes et tenter de répondre à la demande croissante des compagnies aériennes.

Ces mesures de délivrance de l’AEC s’appliquent aussi à tous les étudiants anglophones ou allophones issus d’une autre province du Canada, inscrits dans un programme offert dans une autre langue que le français, en l’occurrence, en anglais. En d’autres mots, un étudiant canadien voulant étudier le pilotage au Québec devrait se soumettre à l’examen de français pour l’obtention de son attestation d’études collégiales au terme de son programme.

Plusieurs étudiants canadiens veulent étudier le pilotage dans nos établissements d’enseignement supérieur pour différentes raisons : le gage de qualité de la formation offerte par nos institutions, l’obtention d’un diplôme de niveau postsecondaire et l’accessibilité aux mesures d’aide financière offertes par les provinces pour les études. Cet enjeu de la réussite du français est extrêmement dissuasif pour ces étudiants. Cela nous apparaît être une inégalité pour un Canadien anglophone : ces étudiants devraient pouvoir être exemptés de cette exigence, au même titre qu’un étudiant québécois anglophone admissible à l’enseignement en anglais.

D’autre part, rien n’entrave leur possibilité d’opter pour des études en pilotage dans une province anglophone du Canada et par la suite, de travailler au Québec puisque compte tenu des règles fédérales en matière d’aéronautique, les pilotes d’avion peuvent travailler en anglais au Québec. Pour nos collèges spécialisés, la perte de cette clientèle représente un préjudice non seulement pour nos établissements, mais également pour l’économie dans son ensemble.

Notre profession est déjà soumise à des normes sur les compétences linguistiques. En effet, « la démonstration de compétence linguistique en aviation de Transports Canada évalue les capacités linguistiques dans le domaine de l’aviation, en français et/ou en anglais »[5] en utilisant l’échelle de compétence linguistique de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) qui évalue 6 dimensions : la prononciation, la structure, le vocabulaire, l’aisance, la compréhension et l’interaction. Le niveau exigé pour obtenir une licence est de « fonctionnel »[6]. Le gouvernement du Québec a tout avantage à reconnaître la singularité de l’aviation qui a, pour des raisons de sécurité maintes fois démontrées, fait de l’anglais la langue du métier et l’expertise de l’OACI sur l’évaluation de la langue pour garantir que le pilote a une connaissance suffisante dans le cadre de sa profession.  De plus, il est important de souligner que le 6 juin 1946, Montréal a été choisie comme étant le siège permanent de l’organisation, du fait de la qualité de l’accueil des autorités gouvernementales et pour son énorme potentiel de développement économique, scientifique, technique et aéronautique. C’est pourquoi il est impératif que le gouvernement se penche sur ces pistes de solutions réglementées à l’international.

En conclusion, la nouvelle réglementation intégrée à la Charte de la langue française, imposant des exigences linguistiques plus strictes pour l’obtention de l’attestation d’études collégiales (AEC) dans les collèges de pilotage du Québec, crée des défis significatifs pour les étudiants internationaux et canadiens. Ces exigences, bien qu’ayant pour objectif de promouvoir l’intégration linguistique et culturelle, soulèvent des questions sur leur pertinence et leur impact sur l’industrie de l’aviation au Canada. Il est crucial de trouver un équilibre entre la promotion de la langue française et le maintien de la compétitivité et de l’accessibilité des collèges de pilotage du Québec. Une réflexion approfondie sur ces questions est nécessaire pour assurer l’avenir de l’industrie de l’aviation au Québec et au Canada.

Par Jean-Baptiste Carré

 

[1] Description: La personne comprend et communique sur des sujets d’intérêt général ou des sujets spécifiques dans des conversation ou des présentations. Elle échange des propos concrets au moyen de constructions syntaxiques parfois complexes. Elle utilise un vocabulaire varié. La personne comprend et utilise des verbes au plus-que-parfait, une variété de verbes au conditionnel présent, des comparatifs et des superlatifs, des hypothèses irréelles sur un fait présent ou futur avec « si ».

[2] Gouvernement du Québec. (2023) Échelle québécoise des niveaux de compétence en français. Disponible sur : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/langue-francaise/fr/publications/referentiel/echelle_
niveaux_competence_2023.pdf
. Consulté le 10 janvier 2024.

[3] Gouvernement du Canada. (2023) Travailler au Canada après l’obtention de votre diplôme : Qui peut présenter une demande? – Cas spéciaux. Immigration et Citoyenneté. Disponible sur : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/etudier-canada/travail/apres-obtention-diplome/admissibilite.html#pilotage. Consulté le 28 novembre 2023.

[4] Gouvernement du Canada. (2023) Diplômés d’une école de pilotage du Québec. Immigration et Citoyenneté. Disponible sur : https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/etudier-canada/permis-etudes/preparer/liste-etablissements-enseignement-designes/ecoles-pilotage-quebec.html. Consulté le 28 novembre 2023.

[5] Gouvernement du Canada. (2024) Évaluation des compétences linguistiques en aviation. Disponible sur : https://tc.canada.ca/fr/aviation/delivrance-licences-pilotes-personnel/evaluation-competences-linguistiques-aviation. Consulté le 16 janvier 2024.

[6] Définition des critères de prononciation et compréhension: la prononciation, l’accent tonique, le rythme et l’intonation sont influencés par la langue première ou par une variante régionale, mais ne nuisent que quelques fois à la facilité de compréhension. La personne comprend bien la plupart des énoncés portant sur des sujets courants, concrets ou professionnels lorsque l’accent ou le parler utilisés sont suffisamment intelligibles pour une communauté internationale d’usagers.